West Side Story

L'intrigue de «West Side Story» repose sur l'atmosphère tendue qui régnait entre Portoricains et Américains blancs à New York à la fin des années 50. Telle celle qui embrasait les Montaigu et les Capulet au XVIe siècle à Vérone, la haine entre la bande des Jets, les Américains, et celle des Sharks, les Portoricains, est explosive et les rixes se multiplient. Tony, ami de Riff, chef des Jets, et Maria, soeur de Bernardo, chef des Sharks, sont les pendants de Roméo et Juliette. Il est elle s'aiment désespérément. Leur impossible amour s'incarne sur fond de violence urbaine dans des chorégraphies minutieusement réglées. Dans une succession de sauts, de courses, de grands écarts et de mambos chaloupés, les interprètes se toisent, s'affrontent et s'enlacent. Quant à l'hymne de «West Side Story», «I like to be in America», il reste plus actuel que jamais avec un refrain mythique: «Life can be bright in America, if you can fight in America, life is all right in America, if you are all white in America.» En français: «La vie peut être radieuse en Amérique, si tu peux te battre en Amérique, la vie est parfaite en Amérique, si tu es blanc en Amérique!» Une réalité que vivent encore aujourd'hui les Mexicains ou les Vénézuéliens récemment immigrés aux États-Unis, mais aussi certains Afro-Américains pourtant nés dans le pays. Entremêlée de jazz, de mélodies portoricaines et d'envolées symphoniques, la musique de Leonard Bernstein et les chansons de Stephen Sondheim transportent le public dans la chaleur sensuelle et étouffante d'un été new-yorkais alors que la mise en scène et les chorégraphies ébouriffantes de Jerome Robbins sur le livret poignant d'Arthur Laurents dispensent un suspense haletant. Née à la fin des années 50, la comédie musicale respire la modernité tant dans son livret que dans sa musique ou ses chorégraphies. Une œuvre qui traverse le temps, faisant battre le pouls des spectatrices et des spectateurs.

Fougueux et sensible, Leonard Bernstein est l'un des plus grands compositeurs américains du XXe siècle. Né en août 1918 dans le Massachusetts, il grandit à Boston, ville bercée par le jazz et le swing. Enfant, il étudie le piano et impressionne son entourage par son talent précoce. Malgré les réticences de son père, il poursuit des études musicales approfondies, d’abord à l’Université de Harvard, puis à Philadelphie. S'il est particulièrement connu pour «West Side Story», il a été un compositeur prolifique qui s'est essayé à plusieurs genres musicaux: comédies musicales, symphonies, ballets, musique de chambre, musique sacrée, mélodies ou œuvres pour piano.

Il a été le plus jeune chef de l’Orchestre philharmonique de New York et a dirigé de nombreux autres orchestres aux États-Unis, mais également dans le monde entier. En tant que pianiste, il est soliste et interprète de musique de chambre. Ses quelques 400 enregistrements font encore référence aujourd’hui, ainsi que de nombreuses vidéos où on le voit notamment diriger. Excellent pédagogue et musicien engagé, il est présent lors de moments clés comme la chute du mur de Berlin, pour laquelle il dirige la Symphonie n°9 de Beethoven de chaque côté du mur. Mort en 1990, il laisse le souvenir d'un humaniste, préoccupé par les problèmes sociaux de son époque, mais aussi celui d’un homme généreux, empreint de spiritualité.

Illustre faiseur de comédies musicales, Stephen Sondheim avait 91 ans lorsqu'il est soudainement décédé à la fin de l'année dernière, après avoir célébré Thanksgiving avec ses amis. Disciple d'Oscar Hammerstein, auteur de «La Mélodie du bonheur», Stephen Sondheim était l'un des auteurs de chansons de comédies musicales parmi les plus doués du XXe et XXIe siècle. «Send in the Clowns», extrait de «A Little Night Music», a fait l'objet de près de mille enregistrements, dont ceux signés de Frank Sinatra, Shirley Bassey ou Barbra Streisand. Stephen Sondheim aimait citer son maître à propos de la création de chansons, comme il l'a fait dans une interview au quotidien «Libération»: «Chaque phrase est une scène, chaque mot doit être choisi avec précision. Contrairement à un poème, qui peut concentrer une riche matière, une chanson de musical doit dire assez pour captiver, mais pas trop pour ne pas étouffer l'auditeur qui entend les mots sur de la musique.»

Stephen Sondheim avait moins de 30 ans quand il a été engagé pour collaborer à l'écriture musicale de «West Side Story», son premier spectacle à Broadway. Comme pour Leonard Bernstein, cette création sera un tournant dans sa carrière. Il y en aura ensuite bien d'autres, comme «Follies», «Gypsy», «Sunday in the Park with George» ou «A Little Night Music», d'après le film «Sourires d'une nuit d'été» d'Ingmar Bergman. Récompensé par huit Grammy Awards et autant de Tony Awards, un Oscar, ainsi qu'un prix Pulitzer, Stephen Sondheim a marqué le genre de la comédie musicale de sa créativité.